S’attaquer au mythe de la dualité de Stevenson est un passage obligé de la littérature gothique. Pourtant, après d’innombrables adaptations, le duo italien Marco Cannavo au scénario et Corrado Roi au dessin parvient à insuffler une âme nouvelle et vénéneuse à ce classique. Publiée chez Glénat, Jekyll & Hyde, se distingue instantanément par son parti-pris graphique radical. Abandonnant la couleur pour un clair-obscur charbonneux et qui colle parfaitement à la noirceur de l’âme humaine. Mais le sujet n’a pas t’il était trop souvent utilisé et raconté ?
Une adaptation interprétée
Là où d’autres se contentent d’illustrer, Corrado Roi interprète. En effet, le dessinateur, véritable maître de la BD italienne, souvent en noir et blanc, est le véritable cœur de cet album. Son style est expressionniste, tout en hachures nerveuses et en masses d’ombre profondes. Par conséquent, le Londres qu’il dépeint n’est pas seulement brumeux, il est cauchemardesque, labyrinthique, et semble puer le vice. Artistiquement, c’est un triomphe. Les visages sont tordus par l’angoisse ou la cruauté, et la représentation de Hyde est particulièrement réussie. Il n’est pas un colosse, mais une figure spectrale, une silhouette distordue que l’ombre semble à la fois créer et dévorer. L’utilisation quasi exclusive du noir et blanc renforce le propos. Il n’y a pas de place pour la nuance dans ce combat intérieur entre le bien et le mal.
Une exploration des marges
Côté scénario, Marco Cannavo prend certaines libertés avec l’oeuvre de Stevenson. Certes, l’enquête menée par le notaire Utterson reste une trame de fond, mais l’adaptation s’intéresse davantage aux pulsions et à la perversion. Cannavo n’hésite pas à plonger dans le sordide, explorant les bas-fonds de Soho et les désirs inavouables de Jekyll. De ce fait, le récit gagne en tension horrifique ce qu’il perd peut-être en mystère pur. Cette version se concentre moins sur le « qui » que sur le « pourquoi ». Il explore la fascination morbide de Jekyll pour les actes de Hyde. L’intrigue s’autorise même des détours, comme une rencontre avec l’ombre d’un certain éventreur de Whitechapel, pour mieux ancrer son récit dans une horreur victorienne palpable.
Conclusion
En conclusion, cette adaptation de Jekyll & Hyde par Cannavo et Roi est une œuvre viscérale et hypnotique. Évidemment, son approche graphique très sombre et son scénario qui flirte avec le scabreux ne plairont pas à tout le monde, en particulier à ceux qui cherchent une relecture fidèle et « propre » du classique. Néanmoins, pour les amateurs d’ambiances gothiques et de dessins puissants, c’est une réussite totale. Une plongée sans concession dans l’obscurité, magnifiée par le trait d’un maître de l’ombre.

